Le
Gentleman d'Epsom Nous
sommes en 1962. Sur un hippodrome parisien, des turfistes assistent à l'arrivée
d'une course très disputée. Aidé de sa paire de jumelles,
Richard Briand-Charmery, un commandant à la retraite, surveille la progression
du peloton. A ses côtés, un parieur s'inquiète. -
Où elle est Paupiette ? - Elles est à l'extérieur. Elle
est bien. C'est Turcos qui mène. Mais ça c'est normal, c'est le
cheval de la maison. Dans la foule des joueurs, la vision des choses est
toute autre. - Uranium ! Uranium a gagné ! - Allez Paupiette
! Derrière ses jumelles, le commandant désespère.
Les chevaux de la cinquième épreuve approchent irrémédiablement
du poteau sous les encouragements soutenus des joueurs aux avis différents.
Il faut se faire une raison, Paupiette est battue. L'ancien militaire semble dépité.
- Mais qu'est-ce que c'est que ce guignol ? Mais, enfin, tout le monde l'a
vu ! Dans la foule, le malheur des uns fait le bonheur des autres.
- Bravo Poincelet ! - C'est une escroquerie Monsieur ! - Mais qu'est
qui c'est passée ? - Bandits ! Voleurs ! En prison ! - Vous étiez
sur Paupiette monsieur ? - Oui monsieur ! C'est un scandale ! - Je ne
le vous fais pas dire ! Le speaker annonce l'arrivée officielle.
- Allô ! Allô ! Arrivée de la cinquième course !
Premier, le numéro six, Uranium ! Deuxième le numéro un,
Paupiette ! Troisième le numéro trois Turcos ! Plutôt
désappointé, un parieur qui a visiblement perdu s'approche de l'ancien
militaire. - Bonjour commandant ! - Bonjour mon ami ! - Si je comprends
bien, on est encore battu ? - Battu, battu, vous appelez ça battu vous
? C'est cette petite frappe de Philibert qui a monté comme un cochon !
Oui ! D'ailleurs, je vais le faire suspendre ! Contrarié, le perdant
ne cache pas sa colère. - En attendant, à vous écouter,
je perds plus de deux cent mille en quinze jours ! Je les retiens vos certitudes
! - Plaît-il ? Sentant un certain malaise entre les deux hommes,
Charly, le comparse de Richard Briand-Charmery, intervient. - Commandant
! - Qu'est-ce qu'il y a ? - Je vous cherchais ! Marcel, le premier garçon,
vient de me prévenir ! Paupiette a mangé dans la nuit quelque chose
qui n'a pas passé ! Elle avait vingt-trois de pulsations ! Alors Philibert
l'a retenu pour éviter l'embolie ! - C'est une sage précaution,
mains enfin, la maison aurait pu me prévenir ! - Ce pauvre monsieur
De Rothschild est dans tout ses états ! Il vous a fait chercher partout
! - Ce brave Edmond est vraiment gentil, mais enfin, dites-lui tout de même
qu'il m'a fâché ! Ou plutôt non, je lui dirai ce soir au club
! Le parieur déchu semble épaté. - Vous êtes
parent avec le baron Edmond ? - Oui monsieur ! Je le tiens pour mon frère,
et vous pour un claque dents ! D'abord, vous souvenez-vous de nos conventions
? Que vous ai-je promis quand vous êtes venu mendier mes conseils ?
Mendier, mendier ! - Oui monsieur, mendier ! Que vous ai-je enseigné
à propos des rapports ? - Jamais un cheval à moins de dix contre
un ! - Oui monsieur, c'est une règle chez-moi ! Maintenant, si vous
préférez les cotes minables, l'égalité ou du deux
contre un, adressez-vous aux charlatans ! - Je ne voulais pas vous vexer,
mon commandant, mais je pensais quand même avoir le droit de... - Mais
vous n'avez aucun droit ! D'ailleurs, nous n'avons pas étudié le
cheval dans les mêmes écoles. Vous étiez à Vaugirard
quand j'étais à Saumur et j'apprenais le pas espagnol pendant que
vous débitiez du saucisson sur votre étal. Alors brisons là,
voulez-vous ! Chacun dans sa sphère ! C'est pourquoi, à l'avenir,
je vous prierai de ne plus m'adresser la parole, même de loin ! - Mon
commandant... Le militaire s'éloigne et quitte le champ de courses,
bientôt rejoint par Charly. - Commandant ! Excusez-moi pour tout
à l'heure mais, si j'ai mis Rothschild dans le coup, c'est parce que vous
aviez l'air en difficulté. - Je ne suis jamais en difficulté
! Même si je l'étais, je pense être de taille à m'en
sortir ! Ceci dit je trouve que vous outrepassez vos fonctions de rabatteur !
- Excusez-moi ! Je pensais bien faire. - Je vous pardonne. - Commandant
! - Oui ! - Vous n'auriez pas mille francs ? - Dites-vous bien, mon
jeune ami, que si j'avais mille francs, j'en aurai seize mille dans quelques minutes,
parce que je jouerai Cumulus dans la prochaine. Et à seize contre un, c'est
un cadeaux ! Les deux compères continuent à marcher alors
que le temps se couvre. - Dépêchons-nous, il va faire de l'orage
! - Bon ! Et bien, si je comprends bien, on rentre à pince ? -
Oui, par le bois ! D'ailleurs, au printemps la promenade est charmante. Le duc
de Morny la faisait souvent, jeune homme, suivi de son Tilbury. La pluie
commence à tomber et le commandant ouvre son parapluie. - Eh bien,
venez sous le pépin ! Mais je vous en prie, retirez vos mains de vos poches,
j'ai horreur de ça ! - Je sais bien que c'est pas le moment de parler
de ça, mais si je vous disais que je connais un client hors pair, gavé
d'oseille, un restaurateur. - Oh ! - Je comprends commandant, mais celui-là,
il navigue dans le cosmos, il rêve de cheval toutes les nuits, il a des
hennissements au réveil ! Ah, il est prêt à flamber la baraque
! - Ah, c'est une race qui se perd ! Mais qu'est-ce que vous attendez pour
vous occuper de lui ? - Eh bien, c'est bête à dire, mais j'ai
peur de la gâcher ! J'ai peur de ne pas tout lui prendre. Voyez, ce qui
manque à notre époque, c'est des hommes de classe. Vous, sur un
parcourt comme ça vous auriez fait un malheur ! Une petite association
ne vous intéresserait pas ? - J'ai horreur des mutuelles ! - Pourtant,
vous me connaissez ? - Oui, en plus ! Arrivés sur la route,
nos deux équipiers croisent deux femmes à cheval. Richard Briand-Charmery
les salut. Les deux cavalières semblent surprises et se questionnent.
- Qui est-ce ? - Je ne sais pas mais il a une allure folle ! Charly,
lui aussi, s'interroge. - C'est qui ? - Une duchesse ! - Vous la connaissez
? - Je les connais toutes mon cher ! Le commandant réfléchit.
- Dites-moi ? A votre avis, où les folies s'arrêteraient-elles ?
- Mais les folies de qui ? - De voter gargotier ! - Au prix où
il affiche le ragoût, il ne devrait pas y avoir de limite. - Ah !
Plus tard, les deux hommes se retrouve devant le restaurant de Gaspard Ripeux.
Ils consulte le menu placé à l'extérieur alors que le maître
des lieux s'agite à l'intérieur. - Oh, mais le gaillard évolue
dans le sublime ! - Qu'est-ce que vous en pensez ? - Eh bien nous viendrons
goutter le pot-au-feu de Daboufant dès que nos moyens nous le permettrons
! Le commandant et Charly s'éloigne en pensant déjà
à une juteuse opération. Nous
retrouvons Richard Briand-Charmery en train de dîner chez sa tante qui réside
dans un appartement cossu. - Veux-tu un fruit ? - Non, merci !
- Tu préférerais peut-être un peu de compote de poire !
- Tu est gentille, je dois me sauver ! - Alors, je n'insiste pas.
La brave dame se dirige vers un secrétaire. Elle ouvre un petit tiroir
et en sort quelques billets qu'elle glisse dans une boite de cigare qu'elle va
offrir à son neveu. - Tiens ! J'ai acheté des havanes exprès
pour toi. Tu les fumera à ton cercle, mauvais sujet ! Et tache de ne pas
jouer trop gros, hein ! - Mais ma tante, le cercle n'est pas ce qu'un vain
peuple pense. C'est plutôt un prétexte à lire le Times entre
gens du même monde. Un
peu plus tard, le commandant est assis sur les bancs d'une salle de jeux. Face
à une roulette dotée d'une boule de billard, notre homme tente sa
chance. - Vingt-cinq louis sur l'étoile ! - Les jeux sont faits
messieurs ! Rien ne va plus ! Départ, monsieur le banquier ! L'employé
s'empare d'une queue de billard et vise la boule blanche qui termine sa course
sur la roulette, hésite quelque peu et finit par s'arrêter. -
Etoile, vingt-quatre fois la mise ! L'un des joueurs semble étonné.
- Eh bien l'étoile en voilà pour cent ans avant qu'on la revoit
! Le commandant réplique aussitôt. - A moins qu'elle
ne ressorte tout de suite ! Vous ne connaissez pas la loi de Grobsofski sur la
répétition cyclique ? - Non ! - Moi, si ! L'étoile
à cinquante louis ! Un autre joueur s'insurge. - Hé
bien monsieur, vous n'avez pas le tract ! Vous croyez au barbu ! Deux cent à
l'étoile ! - Les jeux sont faits messieurs ! Dernier coup de la banque
! Départ, monsieur le banquier ! Une nouvelle fois, l'employé
vise la boule blanche qui va choisir un trou sur la roulette. Contre toute attente,
elle répète le coup précédent. - Etoile, vingt-quatre
fois la mise de cinq cent francs ! L'as, deux cent cinquante francs ! Trois, cinquante
francs ! Vingt-deux, vingt-cinq francs ! - Ça alors, comme base !
- La loi de Grobsofski,
mon cher ! Le commandant est aux anges et n'oublie pas le traditionnel
pourboire. - Pour le personnel ! Papiers ! Les deux autres joueurs
n'en reviennent pas. - Vous avez déjà vu ça vous ?
- Jamais ! Mais j'ai compris. Il est en cheville avec la maison. Le commandant
qui la salle de jeu et rejoint l'employé chargé d'activer la boule
de billard.
"
Eh bien, il s'est passé que le petit Victor a monté comme un cochon
! " |
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-
Alors commandant, si on parlait un peu de Papillon V ? On m'a dit qu'on aurait
été comme qui dirait repassman ! Il s'est passé quoi ?
- Eh bien, il s'est passé que le petit Victor a monté comme un cochon
! Il a refait exactement la course de Watking sur Olocost dans le Lupin. Il a
pris le dernier tournant trop large et alors, à ce moment là, au
lieu de faire tout l'extérieur, il a voulu refaire un centrage. Watking
sur Olocoste ! - Watking sur Olocoste ? - Longchamp 1899 ! - Oui,
mais en attendant, pour demain, il n'y aurait pas un petit quelque chose ?
- C'est possible ! Le croupier s'approche des deux hommes et tend une somme
d'argent conséquente. - Voilà votre argent commandant !
- Merci ! L'homme de cheval plie ses billets avant des les glisser dans
sa poche. - Demain matin je dois être à sept heures sur les
Aigles à Chantilly. Madame de Carlouf m'a demandé de lui donné
mon avis sur une pouliche, on lui donne un dernier galop entre intimes. -
Et c'est un cheval qui peut rapporter gros ? - Vingt contre un ! - Hum
! Par ici la bonne soupe ! C'est le coup de Saveronne qui recommence. Dix-huit
contre un dans le prix du Cadran ! - Et c'est pourtant vrai que je vous l'avais
fais toucher celui-là ! Mais pour demain, s'il n'y a pas d'indiscrétion,
çà risque de faire beaucoup plus cher. - Comment on fait ? Vous
me téléphonez ? - Je vous téléphone si c'est un
coup sûr, dans ce cas seulement. Autrement, vous connaissez ma devise, pas
d'aventure. - Prenez une coupe de champe ! - Mon cher Arthur, il ne suffit
pas d'être sur les pistes aux aurores. Encore faut-il avoir l'esprit froid
et l'œil clair ! - Vous vous couchez à l'heure des poules ?
- Hé oui ! Pour me lever à celle des chevaux ! D'autant plus qu'il
y a deux choses qui me sont également chères, ma réputation
et votre argent. Bonsoir cher ami ! - Je ne vous raccompagne pas, commandant
! On
retrouve Richard Briand-Charmery encore endormi dans son lit. La femme de ménage
entre dans la pièce avec le petit déjeuner. Elle ouvre les rideaux
et dépose le Pari-Turf sur le lit. - Il est dix heures, commandant
! L'homme se réveil péniblement et jette aussitôt
un œil sur le quotidien hippique. La femme de ménage s'interroge.
- Il y a de bonnes choses aujourd'hui ? - Bof ! Il y en a de bonnes et
il y en a de mauvaises. La difficulté réside dans le tri. -
Je vous demande ça parce que j'ai touché mes allocations familiales.
J'aimerais bien les faire fructifier dans un coup sûr. - Si vous voulez
un coup sûr, prenez du trois et demi pour cent Pinay garanti or. Quelque
peu dépitée, l'employée qui la chambre. Après avoir
étudié une course, le commandant commence à passer une série
de coups de téléphone. - Passez moi wagram.17.48, s'il vous
plaît ! Il replonge dans le Turf avant que le téléphone
sonne. - Allô comandant ! Vous avez wagram ! - Allô Arthur
! Ça va ! Ça va même très bien ! J'arrive à
l'instant de Chantilly et je regrette que vous ne soyez pas venu ! Une véritable
féerie, mon cher ! Alors, j'ai donné mon accord. - J'ai l'impression
qu'on va se régaler ! - Tout ce que je peux vous dire c'est que madame
de Cardoffe a appuyé sa chance de trois cent mille. Le jeu est passé
à Londres chez Atone et Wilkock pour ne pas influencer la côte.
- Bravo ! Au fait, comment s'appelle gaye ? - La jument ? Elle s'appelle Ridoxine
! - Ridoxine ! C'est beau comme nom ! - Oh ! Mais attendez de voir la
bête ! Une encolure de cygne et des antérieurs droits comme un nid
! Un peu le Canon d'Eclipse, si vous voyez ce que je veux dire. Un peu nerveux
et lunatique au départ, mais elle finit comme une balle ! - Bon, ben
je pense la jouer vingt sacs gagnant sec ! - Vous pouvez y aller ! Euh, dites-moi
! Evidement j'ai eu des petits frais ! - A bon ! Vous savez bien que...
- Ah non ! Pas question de çà entre amis voyons ! Non, mettez cent
Louis pour moi et çà fera l'affaire ! Voilà ! Au revoir,
cher ami ! Le commandant raccroche et rappel aussitôt l'opératrice.
- Ah ! Passez-moi Trudaine 78.23 ! Il profite de l'attente pour rayer
l'un des partants. Le téléphone sonne. - Ici Freedmann ! Ah,
j'avais peur que vous m'ayez oublié ! Quelque chose d'intéressant
pour moi ?  |
"
Des
antérieurs droits comme un nid ! Un peu le Canon d'Eclipse, si vous voyez
ce que je veux dire
! " |
-
Eh bien, cher ami, à sept heures j'étais sur les pistes et à
sept heures dix je remerciais le bon Dieu ! J'avais vu le cheval de l'année
! Des antérieurs droits comme un nid ! Un peu le Canon d'Eclipse, si vous
voyez ce que je veux dire. Un peu nerveux et lunatique au départ, mais
elle finit comme une balle ! - Et il s'appelle comment ? - Fantômas,
par Funambule et Médisant ! Et c'est certainement l'affaire de la journée
! Et même peut-être de la saison ! - Commandant ! Euh, j'aimerais
savoir comment vous remercier ! - Eh ben, comme d'habitude ! Cent Louis secs
pour moi ! C'est même pas drôle, c'est couru d'avance ! Voilà
! Au revoir, cher ami ! Une nouvelle fois le retraité raccroche,
tire un train sur le nom d'un cheval avant de contacter un nouvel interlocuteur
qui n'est autre qu'un coiffeur italien. - Commandant ! Ami ! Comé
va ? Vous avez des nouvelles ? - Hé bien pour aujourd'hui, une locomotive,
un bolide ! Des antérieurs droits comme un nid et il finit comme une balle
! - Le nom, le nom de la locomotive ! - Sycophante ! - Hein !
- Sycophante ! Alors, comme d'habitude, cent louis secs pour moi ! Voilà
! Au revoir, cher ami ! Le Commandant raccroche le téléphone
et redemande aussitôt un nouveau numéro. - Heu... Maintenant,
donnez-moi Central 60 deux fois ! Au bout du fil, une joueuse impliquée
dans le système est déterminée. - Alors, y a pas à
hésiter ! Comme d'habitude ! Vingt pour moi, deux pour vous ! Après
avoir reposé le combiné, le Commandant entoure le nom du dernier
cheval de la liste. Nous
retrouvons Richard Briand-Charmery dans un cabaret parisien. Une femme est au
bar. - Bonjour chère madame ! Vous avez une coiffure ravissante
! Le patron des lieux fait irruption. - How do you do ? Je commençais
à chromer, je pensais que vous m'aviez oublié ! - Ne soyez pas
hypertendu mon cher Lucien, vous vous abrégez ! On ne peux pas à
la fois être sur les pistes et dans les académies de danse !
- Allons un peu par-là ! Les chevaux, c'est des affaires d'homme !
Au bar, la venue de l'ancien militaire ne semble pas être appréciée.
- Le Commandant est arrivé, la journée commence bien ! On va
pouvoir faire de la frite ce soir ! - Çà nous changera pas beaucoup
! Les deux turfistes devisent en secret. - Ténébreuse
? - Oui monsieur ! Ce matin, mademoiselle nous a montré le chemin
de la caisse et çà peut amener le coup de deux, le beau, celui qui
fait date ! Un bruit d'aspirateur perturbe les deux joueurs. -
Jenny ! Votre porte ! Le
Commandant explique la stratégie... - Oui ! Mais seulement là,
c'est un peu spécial. Dans la sixième, Arkan part dopé.
- Oh ! - Oui ! Je suis entièrement de votre avis. Je trouve çà
répugnant, c'est ignoble ! Mais partant du principe que dans la vie il
y a des gens malhonnêtes, le seul moyen efficace de s'en défendre,
c'est d'en profiter. - Naturliche ! - Or, j'ai été prévenu
de la chose par le premier garçon. C'est un homme qui me doit toute sa
carrière. Et je sais que l'opération doit être faite à
l'extrait de pissenlit guatémaltèque. Seulement, il y a un os !
- Ah, je me disais aussi ! Nouveau bruit d'aspirateur et Lucien referme
encore une fois la porte. - Le produit donne son plein effet dix minutes
après l'absorption, pendant quelques minutes, cinq en moyenne. - Et
alors ? - Alors, alors ! Il faut que l'horaire des épreuves soit scrupuleusement
respecté parce que si la course part trop tôt, la tisane n'a pas
le temps d'agir. Et si elle part trop tard, le cheval pique son sprint au paddock
! - Ah, mais dites donc, mais c'est millimètre seconde çà
! - Eh, eh, mon cher, c'est pourquoi il n'y a pas trente-six tactiques !
Le paquet sur Ténébreuse et le tout sur Arkan si l'horaire est respecté
! Mon petit Lucien ! Vous permettez que je vous appel mon petit Lucien ? -
Ah, je ne permet pas, je préconise ! - Eh bien, mon petit Lucien,
si tout baigne dans l'huile, on va peut-être voir la chose historique !
Le coup de légende ! - Very-well, je mets le maxi sur Ténébreuse
et je me laisse porter, plus cinq sacs pour vous ! - Non, c'est trop !
- Ah, écoutez, çà j'y tiens ! Çà me fait plaisir
! - Bon, si vous y tenez ! - Alors, où est-ce qu'on se retrouve
? - Eh ben, comme d'habitude, à trois sur la pelouse, devant le poteau
d'arrivée ! - D'ac ! - Allez, au revoir ! - A tout a l'heure
Commandant ! Le patron de la boite retourne dans la salle - Allez,
allez, envoyez la troupe ! Répétition générale ! Ben
oui, il faut que j'aille en ville ! Ginette ! Fais moi sortir mon costume gris,
celui à rayures ! La sortie de Lucien ne fait pas que des heureux...
- Hé ben, s'il va au champs, c'est pas ce soir qu'il va falloir usiner
pour éponger les dégâts ! C'est toute la semaine, et ce sera
pas de trop ! La répétition démarre... Plus
tard, on retrouve nos deux compère sur le champ de course. Ils assistent
à l'arrivée d'une épreuve. - Ténébreuse
! Ténébreuse à gagné ! Allez, monsieur, montez le
là haut ! - Arrivée de la cinquième course ! Photographie
pour la première place entre le numéro un et le numéro cinq
! Troisième, le numéro trois ! - Mais il y a une encolure pour
le cinq, j'ai pas besoin de photo ! L'arrivée officielle est enfin
affichée. - Mais qu'est-ce que je vous disais, il y a pas de problème,
voyons ! - Ah, ah ! Faites tomber la monnaie ! Vingt mille à douze
contre un, çà fait deux cent quarante mille pour le petit homme,
plus vingt-quatre mille pour vous mon Commandant ! Alors qu'est-ce- qu'on fait
? On reporte le tout ou la moitié ? - Ne nous emballons pas ! -
Ah ben alors là, je ne vous reconnais plus mon Commandant ! L'autre jour
on fonçait aux baraques coudes au corps ! - Mais oui, l'autre
jour il s'agissait de colmater nos pertes ! Aujourd'hui, il s'agit de préserver
nos gains ! La tactique n'est forcement pas la même ! - Mais si Arkan
est bourré de pissenlits, y a pas de risques ! - Ah, ah, le cheval
est capricieux par nature ! Et quand par surcroît il est toxicomane, le
pire est à craindre, mon cher ! - Ben alors, qu'est-ce qu'on fait ?
Entre temps, une connaissance du Commandant se présente. - Bonjour
mon Commandant ! - Je vous avais dit de ne plus m'adresser la parole, vous
! - Vos êtes toujours fâché ? Vous voulez pas qu'on fasse
la paix ? Depuis que je ne vous vois plus, je paume tout ce que joue, encore plus
qu'avant. - Je vous avais prévenu, mais je vais être bon prince
bien qu'étant fixé sur votre reconnaissance. Le Commandant
s'approche de son interlocuteur et lui chuchote un tuyau. -
Eliotrope dans la prochaine ! Tandis que les parieurs s'affairent aux guichets,
le speaker intervient. - Allô, allô ! Les chevaux se rendent au
départ ! Fier de lui, Lucien revient avec une liasse imposante de tickets.
- Ah, ah ! C'est la fiesta, Commandant ! On a près de trois cent sacs qui
se portent bien sur Arkan ! Le Commandant n'a pas l'air
de partager l'optimisme de son compère. On
retrouve les deux joueurs dans la boite de nuit de Lucien. Alors que les spectateurs
applaudissent la prestation de superbes jeunes femmes, le patron des lieux ne
décolère pas. Quant à sa compagne, elle en rage. -
Oui ! Trois cent sacs qui se portaient bien ! - Tiens, tiens, tiens, tiens
! Impondérables ! Moi je veux bien, mais avouez tout de même que
c'est un monde ! La photo qui nous met en retard ! L'opération pissenlits
qui foire et un conard qui nous casse la baraque ! Çà en fait un
peu beaucoup, çà, des impondérables ! Un client intervient.
- L'enchaînement des fatalités, mon vieux ! Lucien insiste.
- Pourtant, bon Dieu, j'ai les idées larges ! Démocrate en tout,
on me connaît ! Alors, qu'il y ait des jockeys truqueurs, des chevaux un
peu capricieux, moi je dis qu'il faut tout le monde s'amuse ! Mais qu'un petit
commerçant se permette d'importuner un officier, et un officier supérieur,
sous prétexte qu'il oblige les gens, alors là, je dis qu'il y a
du crime ! Le client rétorque. - Le fait est que de nos
jours, le petit bourgeois prend des libertés infernales ! Assis,
le Commandant se réveille. - O tempora ! O mores ! Lucien
s'interroge. - Quoi ? - C'est du latin ! Çà veut dire
drôle d'époque ! Et quand je dis drôle d'époque, je
minimise ! En réalité nous assistons au triomphe de la subversion,
au renversement des valeurs. Mais dites vous bien, messieurs, que le subversion
ne date pas d'hier ! Je l'ai vu naître, en vingt-sept, lorsqu'on a monté
les hussards sur des motocyclettes. J'ai préférer ne pas participer
à cette mascarades. Car voir Saumure transformer en garage et le Cadre
Noir en bleus de mécaniciens, c'est plus qu'un honnête homme n'en
pouvait supporter. C'est pourquoi j'ai rendu ma cravache, mon képi et mes
éperons ! L'odeur du crottin, soit ! Mais l'odeur du cambouis, non ! Bon,
messieurs je vous demande la permission de me retirer, je dîne en ville
! Au revoir ! - Au revoir, Commandant ! A demain ! Dans la salle,
le spectacle de strip-tease continue. De
son côté, le Commandant décide de se rendre chez sa sœur
où nous nous retrouvons. A la télévision, un cuisinier bien
connu explique une recette. - Dans cette casserole, vous devez mettre de
l'huile, et puis du beurre, environ cinquante grammes ! Et puis, un oignon, un
gros oignon dont je vais utiliser seulement la moitié. J'enlève
les deux talons ! Et puis je vais les émincer très petitement, ceci
pour gagner du temps ! Voilà, voyez, c'est extrêmement rapide et
il n'y a pas de difficulté. Cet oignon, je le met dans la casserole, bien
entendu... Richard Briand-Charmery pénètre dans l'appartement
et est accueillis par la servante. - Bonsoir ! A la télévision,
le cuisinier continue de présenter sa recette. - Et maintenant,
nous allons passer aux choses beaucoup plus sérieuses ! Vous prenez un
beau faisan ! On frappe à la porte du salon... - Entrez
! - C'est le frère de madame ! - Quand on parle du loup ! -
Je t'en pris, commence pas ! Combien de fois faudra-t-il vous dire d'annoncer
le Commandant ou monsieur Richard Briand-Charmery ! - C'est encore moi !
- Tu remarquera que je ne lui ai pas fait dire ! - Bonsoir mon grand ! C'est
gentil d'être venu ! Le beau-frère du Commandant éteint
la télévision. - C'est à cause de moi que vous fermez
çà ? - A cause des parasites ! Vous êtes venu dîner
? - Je suis venu embrasser ma sœur ! Importun, jamais, affectueux, toujours
! - A en juger par la fréquence de votre affection, la série
continue ! - Je ne vois pas très bien ! - Les Bérézinas
hippiques ! Les Waterloos chevalins ! - Navré de vous décevoir
mon cher Hubert, mais cet après-midi j'ai touché une assez jolie
cote ! - Tu restes quand même dîner ? - Je ne vois pas très
bien le rapport, mais si tu me le demande, je reste ! - Merci ! Mon bon Richard,
si tenté que vous avez touché une assez jolie cote, vous pourriez
envisagez de rembourser les quarante mille francs que Thérèse vous
a prêté pour vingt-quatre heures voilà dix ans ! Prêtés...
sur mon argent ! - Je ne vois pas très bien comment elle aurait pu
me les prêter sur le sien ! - Ah, ah, çà c'est vrai !
- Je ne saisi pas ! Probablement est-ce une allusion ? - Une allusion tout
ce qu'il y a direct à vos Bérézinas caoutchouteuses et à
vos Waterloos pétroliers ! On à beau savoir que la bourse est la
nécropole des dots bourgeoises, vous vous êtes révélé
fossoyeurs d'élite ! - Si vous êtes venu chez moi pour semer
la zizanie ! Thérèse intervient... - Mais non ! Richard
plaisante ! Cela dit, sans vouloir te faire de reproche, avoue, mon chéri,
que tu n'a pas raté une seule catastrophe ! L'affaire Oustrique, l'immobilière
du Népal, les allumette suédoise, les tramways de la Cordillère
des Andes... - The Reichtat ! Il a raté l'affaire de Panama parce qu'il
était pas né et madame Anaux parce qu'il a été prévenu
trop tard ! - En quarante-neuf, j'ai raté aussi Bagarra dans le prix
de Diane, et çà grâce à qui ? - Ah non, mon petit
Hubert, non ! Moi, j'ai passé l'âge des remontrances ! Tiens, au
fait, ma nièce n'est pas venue m'embrasser. Ou est-elle ? - Dans sa
chambre, elle termine un devoir. - Ah ! Eh ben, je vais l'aider !
Richard, une verre à la main, quitte la pièce pour rejoindre Béatrice.
Hubert est toujours remonté contre son beau-frère. - L'aider
à quoi ? Il n'a jamais été fichu de faire une addition !
Dans la chambre de la nièce... - Oh ! Mon petit tonton folingue
! Comment vas-tu ? - Je vais bien, mais cesse de m'appeler mon petit tonton
folingue, c'est irrespectueux au possible ! - Mais dit donc, c'est du scotch
? - Oui ! - Papa m'interdit d'en boire ! - Tu sais que je ne suis
pas enclin à approuver ton père, mais pour une fois, il a raison
! - Et si j'aime çà ? Qu'est-ce que je serai obligée
de faire si on m'interdit d'en boire et si j'aime çà ? M'en faire
offrir ! - Ah oui ! Dans les garçonnières de gigolos à
véhicules pétaradant ! Ben, que je t'y prenne pas ! Hein ! -
Mais il n'y a plus de gigolos, mon oncle, plus de garçonnières,
c'était de ton époque ! L'éclairage tamisé, Carlos
Gardel, l'Orient-Express, la senteur des îles Borromées ! Oh ! Tu
devais être irrésistible ! - Oui ! Ben essaye pas de m'embobiner
! Le Commandant jette un œil sur le tableau noir de sa nièce.
- Qu'est-ce que c'est que çà ? - Oh rien ! Quelques intégrales
! Des petites vérifications sur les théories des groupes ! C'est
assez nouveau, c'est amusant comme tout ! Çà ne te dis rien ?
- Si je comprenais quelque chose aux mathématiques, j'aurai fait l'artillerie
comme Bonaparte ! Et comme ton grand-père ! L'uniforme m'aurait plu, noir
avec une bande rouge ! - Dis donc, mon oncle ! - Quoi ? - Tu peux
me prêter dix mille francs ? - Pour quoi faire ? - Mon oncle, quand
une femme vous emprunte de l'argent, on ne doit jamais lui demander pourquoi !
- Excuses moi ! - Ils me manquent pour m'acheter un pick-up ! Thérèse
entre dans la chambre. - Les enfants ! A table ! Béatrice semble
enchantée. - Chouette ! Tu restes dîner avec nous ? -
Maintenant, çà ne fait plus l'ombre d'un doute ! Le
lendemain, on retrouve Richard Briand-Charmery marchand dans la rue. Il croise
une superbe Rolls-Royce. Sa passagère reconnaît le Commandant et
l'appelle. - Richard ! Briand-Charmery se retourne. - Maud ! Qu'est-ce
que tu fais ici ? - Eh ! Je me promène ! Et toi, où vas-tu ?
- Nul part ! - Eh bien, monte !
"
Laisses moi te regarder ! La même en mieux !
" | |
Le
Commandant pénètre dans la belle voiture. - C'est incroyable
! Depuis si longtemps et comme çà, au coin d'une rue ! - Laisses
moi te regarder ! La même ! La même en mieux ! - T'as pas changé
! - Oh, oh si ! - Non ! - Oh si ! - Non ! Tu dis toujours n'importe
quoi ! - Je te croyais en Amérique et mariée ! - Oui ! Mais
tu vois, on en revient ! - Du mariage ! - Non ! D'Amérique ! Je
viens tous les ans faire mes achats. Je suis restée fidèle aux petites
boutiques ! Steeve m'accompagne quand il le peut, entre deux avions, mais il est
tellement pris ! Et Toi ? - Toujours disponible ! Qu'est-ce que tu veux faire
? Danser, courir les antiquaires ou manger des petits fours ? - Acheter !
N'importe quoi, du moment que c'est en Oslo, en cuir et pas en solde ! J'avais
l'intention de commencer par les chapeaux ! - Ah ! Tu leur tourne le dos,
mon ange ! - Pourquoi ? Caroline Pelloux... - Mais Caroline Pelloux
ne chapeaute plus que les femmes de ministres. Si tu portes ces bibis, on t'appelle
madame la présidente et tu n'est plus reçue nul part ! Richard
souhaite s'adresser au chauffeur de la Rolls. - Comment s'appelle t'y ?
- C'est César. - César ! - Monsieur ! - Faubourg Saint-Honoré,
je vous arrêterai ! Nous retrouvons le couple dans une prestigieuse
chapellerie parisienne. - Qu'est-ce que tu en pense, avec un tailleur chiné
? - Bof ! J'aimerai mieux un jersey beige ! - Oui ! Oui, peut-être
! Maud a fait son choix et s'adresse à une vendeuse. -
Bon, je prendrai celui-là ! - Bien, madame ! L'ancienne compagne
de Richard se souvient. - Et dire que c'est toi qui m'a appris à
m'habiller. Tu te souviens ? L'hippodrome de Saratoga au printemps, un soleil
merveilleux ! Quand les chevaux ont franchi le poteau, tu m'a posé un baiser
dans le coup. - Je venais de toucher Lady Be Good à trente contre un
! - Tu m'a dis je vais te montrer comment on transforme un cheval en vison.
Et tout y est passé ! Aller, tu peux bien me le dire maintenant ! Combien
avais-tu payé ce vison ? - Tu t'en souviens, çà n'a
pas de prix ! - Je m'en souviens, oui ! Maud se fait présenter
discrètement des portefeuilles. - Modèle pour messieurs !
Nous pouvons l'assortir au porte-cartes ! - Parfait ! Vous livrerez tout cela
au Ritz, ce soir, sans faute ! Madame Hooligan ! - T'es descendu au Ritz ?
T'es routinière ! - Fidèle ! Le concierge m'a dit tu n'y descendais
plus ! - Oh la, la ! Ne me parle pas de la vie d'hôtel, il y a trop
de promiscuité ! Non, en ce moment je suis sur une petite affaire dans
la Marais. C'est le seul quartier possible, d'ailleurs, parce que maintenant l'île
Saint-Louis est devenue un cloaque ! Un camp pour rapins milliardaires et péruviens
pervertis ! Mais, en Amérique, tu n'habite pas New York, j'espère
? - Si, a cause des affaires de Steeve ! Je m'y suis faite d'ailleurs, nous
avons un appartement en terrasse au trente-deuxième étage. Une vue
Splendide ! - Tiens, tu vois ! On en apprend tous les jours ! J'ignorais qu'en
dehors des fenêtres de Versailles il existait une vue ! - Tu ne m'aura
pas ! - Et qu'est-ce qui fait ? - Qui ? - Steeve ! - Des
affaires ! Des mines de manganèse, de tungstène, de je ne sais pas
quoi ! - C'est pas bête çà, les mines ! - J'étais
à Longchamp, dimanche, avec l'ambassadeur. Il a fait ses études
à Haward avec Steeve ! Je m'attendais vaguement à t'apercevoir au
pesage ! - J'ai pas été à Haward mon ange, mais aller
au pesage est la dernière idée qui me viendrait ! Le pesage est
devenu un rendez-vous des pisses noir ! En quelques années, j'ai vu le
tube gris faire place au melon, soi-disant démocratique, et le chapeau
mou remplacer le melon, en attendant probablement le béret basque et la
casquette ! - Ah, ne dis pas de mal des casquettes, Steeve en a de très
rigolotes, pour le golf ! Non, pardonne-moi, une casquette ne peux évidemment
pas être rigolote ! - Sur la tête de ce monsieur, pourquoi pas
! - Trop tard, on est arrivé ! Tu as raté l'occasion de me faire
ta première scène ! - Et, pas sûr ! Qu'est-ce- que tu
fais ce soir ? - Mes bagages ! - Dommage ! - Je suis venue pour huit
jours, je reprend l'avion demain matin à Orly ! - J'aurais aimé
t'avoir à dîner ! - Tu risquerais de dîner trop tard !
- Et bien, tant mieux. Comme çà, on soupera ! Allez, ne dis pas
non ! D'ailleurs, t'a jamais su ! Hein ! - Bon, alors viens me chercher à
dix heures, j'essayerais d'être prête ! On
retrouve le Commandant dans sa chambre, à la recherche d'une chemise pas
trop usée. Il est à la quête, également d'un chéquier
encore utilisable. Plus tard, Maud et Richard son attablés dans un restaurant
russe très renommé. L'orchestre traditionnel assure un fond musical
non moins traditionnel. - La valse triste, le troisième violon qui
joue faux, le maître d'hôtel qui jette un œil sur la steppe et
l'autre sur l'addition, avoue que rien n'est changé ! - Presque rien,
de petits détails ! Tiens regarde le chanteur, là-bas ! Tu te rappelle
? Il a pris de l'embonpoint ! Dire qu'un soir, vous vous êtes battu, et
à cause de moi ! Avec un sabre, tu voulais le tuer ! - Quand on voit
ce qu'il est devenu, j'aurais du le faire ! Il serait mort en beauté !
En cuisine les commandes fusent. - Dites donc, monsieur Boris, une livre de
caviar pour deux, çà c'est un client ! - Un client ? Un soir
des années trente, le commandant Briand-Charmery est entré ici à
cheval ! Il est alors amoureux de Lili de Montparnasse ! Lili occupait tous les
soirs la table à droite de l'orchestre et dînait toujours torse nu
! Une reine ! La nuit dont je vous parle a duré soixante heures sans que
personne ne sorte ! Le Commandant appelait Lili Soignia ! Il voulait l'épouser
devant l'archimandrite de Saint-Petersbourg ! Il avait bu comme un Romano !
- Il était complètement saoul, oui ! - Saoul ? Allez dont vider
les cendriers, petit occidental ! De retour dans la salle... -
Ah, ah, ah ! Mon Dieu, quelle vie ! Tu as été mes folles années,
Richard ! Il m'arrive encore, quand je rie, de penser à toi. - Et tu
ris souvent ? - Sois pas injuste ! Steeve est un garçon très
bien, intelligent, travailleur. - Oui, je sais, les mines, mais tu ne vas
pas me dire qu'il y descend ! - Son grand-père est arrivé du
sud canadien avec un million de dollars en poche ! - Pendant que le mien chargeait
à Reichshoffen ! Mains nous, dans la famille, c'est toujours les chevaux
qui nous ont perdu ! - En ce qui nous concerne, en tous cas, ils nous ont
séparé ! Maud offre le portefeuille acheté l'après-midi
à Richard. - Tiens, au fait, c'est pour toi que je l'ai acheté
! - Merci ! Mais pourquoi dis-tu au fait ? J'ai une excellente mémoire,
je n'oublie jamais rien ! - Si ! Moi ! Tu m'a oublié dans les tribunes
d'Epsom le jour du derby. - Ah, me parle pas de cette journée, elle
me ronge encore ! C'est mon vautour ! La déforme infernale, l'hécatombe
! Shakespeare ! Maud rit...
 |
"
La valse triste, le troisième violon qui joue faux,
le maître d'hôtel qui jette un œil sur la steppe et l'autre sur
l'addition, avoue que rien n'est changé
! " |
-
Figure toi que ce jour là l'entraîneur du duc de Kent m'avait donné
Suncap comme un coup sûr. Puis je ne sais pas ce qui m'a pris, un coup de
patriotisme. J'ai tout mis sur Fanfaron parce que c'était un cheval français.
Qu'est-ce que tu veux, on est toujours trahi par les siens ! Et quand je t'ai
quitté, pour soi-disant aller toucher, j'avais même plus de quoi
acheter une orange. - Pourquoi m'as tu rien dit ? - Et pourquoi Lady Be
Good a-t-elle gagné à Saratoga ? Pourquoi Fanfaron a-t-il perdu
à Epsom ? Pourquoi les choses arrivent-elles ? Pourquoi, tout d'un coup,
on a plus envie de les expliquer ? Ah, ah ! Vas donc savoir ? Dans la
salle du restaurant, on éteint les lumières. L'un des serveurs apportent
des brochettes flambées en dansant. Richard semble morose. - Dans
le fond, quand on réfléchit, tout cela est d'une telle bêtise
! - C'est comme cela toutes les semaines, çà devrait pas te
surprendre ! - Hum, je parle d'Epsom ! Tu m'as attendu longtemps ? - Je
ne peux pas te dire exactement j'avais pas l'heure. La veille, tu avais engagé
ma montre ! Les balayeurs m'ont demandé de sortir, j'ai continué
à t'attendre devant les grilles et... et puis Steeve ! - Quoi, Steeve
? - Un gentleman m'a abordé fort courtoisement et m'a proposé
de me ramener à Londres et j'ai accepté. C'était lui !
- Eh ben ! Permet moi de te dire que comme gentleman, aborder une femme à
la sortie d'un hippodrome ! - Ben, et toi, le premier jour à Saratoga
? - Ben oui, mais moi, moi, moi ! D'abord, c'était dans les tribunes,
puis moi, c'est moi ! En plus j'avais touché cinq gagnants, çà
justifie certaines audaces ! - Et lui venait de toucher Suncap !
- Ah, parce qu'en plus il avait joué mon cheval ! Maud rit à
nouveau. - Mon chéri, t'es merveilleux ! Tu ne grandira jamais !
J'avais gardé ce souvenir de toi, tu ne l'a pas gâché. Merci,
Richard ! Fais moi danser ! Le couple va enchaîner les danses toute
la nuit. A l'aube, Maud s'inquiète de l'heure. - Richard, le temps
a passé très vite ! Mon avion décolle dans quatre heures
! J'ai juste le temps de passer à l'hôtel ! - Maître d'hôtel,
l'addition ! Richard sort son carnet de chèque. - Tu ne
fais pas partie du Diners-club ? - Mon ange, c'est peut-être très
courant aux Amériques, mais personnellement, je trouve que çà
fait ticket de cantine ! Le Commandant s'adresse au maître d'hôtel.
- Avez-vous un stylo ? Pas à bille ! Merci ! Voyons... parfait ! Je
vous fais un chèque de deux cent mille, allez me chercher la différence
! Toujours présent, l'orchestre fait une aubade. Une fois le chèque
rempli, Richard, accompagné de Maud quitte la salle en distribuant des
pourboires à l'ensemble du personnel du restaurant, sans oublier le portier
à la sortie. Maud s'approche de sa voiture qui est avancée.
- Je te dépose ! - Non, merci ! J'adore fumer mon dernier cigare
sous les marronniers du bois ! - J'ai passé une nuit merveilleuse
! - Alors maintenant, au hasard ! A Epsom ou à Saratoga ! La
porte de la Rolls se ferme et la voiture s'éloigne. Le
lendemain, nous retrouvons le Commandant chez sa sœur. Il est accueillit
par Hubert, son beau-frère. - Alors ! De quoi s'agit-il ? -
Eh ben, d'une chose qui vous indiffère peut-être, mais qui me touche
au plus haut point ! L'honneur de la famille ! Jouez-vous toujours au billard
avec le baron Emblin ? - Non ! Nous n'avons jamais joué au billard,
mais au bridge ! - Oui ! Mais enfin, c'est la même chose ! - J'avais
pas remarqué ! - Si, si ! C'est la même chose quant au résultat
! Il ne jouera plus avec vous, à rien ! - Peut on savoir ? - Le
baron est toujours administrateur de la banque de Paris ? - Il en est même
président directeur général ! - Je viens de lui foutre
une chèque sans provision. - Quoi ? - Eh, qu'est-ce que vous voulez,
mon cher ! Une soirée vaguement russe, vous savez ce que c'est ! Enfin,
si vous ne le savez pas, je vous l'apprends ! A l'heure actuelle, on ne peut plus
se conduire en gentleman sans friser les deux cent billets ! - Et qu'est-ce
que vous allez faire ? - De la prison ! - Mais c'est impossible ! Vous
avez pensé à Thérèse ? A votre nièce ? A moi
? - Mais je ne pense qu'à vous ! C'est pourquoi j'ai parlé de
l'honneur de la famille. - Eh bien temps pis ! Je ne céderai pas au
chantage, ce serait trop commode ! Votre honneur, je m'assoie dessus ! - Hubert,
vous êtes ignoble !
"
Maintenant que je sais que vous vous asseyez sur mon honneur, permettez-moi de
m'asseoir sur vos conseils !
" |
|
-
Vous assurerez la responsabilités de vos nouvelles sottises ! Je vous laisse
dans votre marécage ! Et d'ailleurs, quand bien même le voudrais-je,
je ne pourrais pas vous aider, les banques sont en grève depuis hier !
- Les banques sont en grève ? Non mais vous êtes sûr,
c'est officiel ? - Naturellement, c'est officiel ! Vous le sauriez si vous
lisiez autre chose que vos journaux de courses. - Ah non, mon cher, hein !
Maintenant que je sais que vous vous asseyez sur mon honneur, permettez moi de
m'asseoir sur vos conseil ! Nous
retrouvons le Commandant descendant du train. Il se rend au champ de courses.
A proximité de l'hippodrome, les inévitables traqueurs de gogos
cherchent leurs proies en jouant au Bonneteau. - Dis donc, Charlot !
- Salut ! - T'as pas vu mon complice ? - Ben non, pas encore, çà
m'étonne ! - Il a du se faire emballer ! Trouves moi un baron, je vais
commencer tout de même ! Tandis que les crieurs de journaux hippiques
s'agitent, le Commandant arrive d'un pas bien décidé. - Ah
! Mon cher Charlot ! Pouvez-vous me tirer d'un embarras momentané ? Je
vais être franc avec vous, j'ai même pas mon entrée ! J'ai
un coup sûr dans la quatrième ! - Ben, je peux peut-être
vous faire une fleur ! Si vous voulez baronner le gros Léon, je vous refilerai
deux sacs, comme çà vous les aurez gagné et il n'y aura pas
de compte entre nous. Et je proposerai pas çà à tout le monde,
hein ! - Votre confiance me bouleverse, mon vieux ! - Alors voilà,
c'est pour baronner Léon, et deux sacs pour vous ! Alors ceux-là,
vous les flamber en deux coups... - Ah, je vous en pris, mon cher, hein !
Epargnez moi le mode d'emploi ! Sur
le trottoir, Charlot a déployé son parapluie transformé pour
l'occasion en table de jeu. -
La noire ici, je la mets là ! Celle-ci, je la mets ici, celle-ci je ne
vous la fais pas voir ! Qui l'a vu pour mille francs ? - Suivez la rouge,
c'est à vous de la trouver, c'est à moi de la cacher ! Qui l'a vu
pour dix mille ? Le Commandant s'adresse à un passant intéressé
par le jeu. - Où croyez-vous qu'elle soit ? - A droite !
- Moi, je la croirai plutôt dans le milieu ! - Elle devrait y être,
mais il a fait sauter la carte ! J'ai compris le truc ! Le Commandant
pose son billet. - Je ne donne pas le coup à moins de vingt mille
! Le Commandant propose un marché au passant. - Vous faites
dix mille avec moi ? Le passant accepte bien volontiers et pose également
son billet sur la carte choisie qui n'est malheureusement pas la bonne. -
Ben, j'étais pourtant certain ! - Ben qu'est-ce qui s'est passé
? - Je sais pas ! J'étais distrait ! - Et maintenant, on recommence
! Tout sur l'as de carreau ! C'est la rouge qui nous intéresse ! Suivez
là toujours ! C'est toujours la rouge qui gagne ! La voici, la voilà
! Voilà l'as de carreau ! Il est ici ! Il est là ! Tout sur l'as
de carreau ! C'est toujours la rouge qui gagne ! C'est à moi de la cacher,
c'est à vous de la trouver ! Suivez la rouge, qui l'a vu pour dix mille
? Le Commandant pose à nouveau un billet, mais cette fois ci sur
la bonne carte. - Bravo monsieur ! Bravo ! Bon, ben on recommence ! C'est
toujours la rouge qui gagne, la voici, elle est là, vous la regardez !
Voilà, c'est toujours la rouge qui gagne ! Pardon, excusez-moi ! C'est
toujours la rouge qui gagne ! Qui l'a vu pour quarante ? Le Commandant
pose un billet de dix mille. - J'ai dis quarante ! Le passant veut
se racheter. - Vous permettez ? - Si vous voulez, oui ! La
carte choisi n'est pas la bonne.
 |
"
Eh
bien, avec vos histoires, monsieur, vous m'avez fais rater les deux premières
!
" |
-
Eh bien, avec vos histoires, monsieur, vous m'avez fais rater les deux premières
! Et le Commandant quitte les lieux pour pénétrer dans l'hippodrome.
Il consulte les cotes en compagnie de Charly, son fidèle compère.
- Centurion à vingt-six contre un, çà c'est une affaire
! Qu'en pensez-vous ? - Je pense qu'on va encore rentrer à pince !
- Décidément, mon pauvre ami, vous végéterez toujours
! Un joueur s'adresse à Charly. - Dis, Charly ! Quel est
ce cheval à vingt-six contre un, aujourd'hui ? - Ben quoi, ce cheval
à vingt-six contre un, ben c'est Centurion, çà ! Mais moi,
je vais te dire, je n'y crois pas du tout, moi ! Le Commandant se présente
au guichet. - Le dix-sept, dix fois ! Le speaker intervient.
- Allô, allô, les chevaux sont sous les ordres ! La course
démarre. Charly semble inquiet. - Vous ne regardez pas ? - Pas
la peine, pour moi c'est affiché ! Charly est intéressé
par la paire de jumelles du Commandant. - Vous permettez ? - Si çà
vous amuse ! Un turfiste observe les retardataires. - Y en quatre,
là-bas, qui traînent à trente longueurs ! Il y a le dix-sept,
la dedans ! C'est bien Centurion, hein ! De son côté, Charly
suit la course a l'aide des jumelles. - Pour le moment, on est onzième
! - Ne dites pas de sottises, voulez-vous ? - Et on est toujours onzième
! A l'issue dune arrivée très animée, soutenue par
un public acharné, Centurion ne figure pas dans les chevaux de tête.
Le Commandant est hors de lui. - Mais c'est du flagrant délie !
C'est une bande d'escrocs ! Arrêtez-moi ce monde là ! - Moréno
est revenu... - Moréno, Moréno, c'est une petite fripouille
! Oui ! Dites plutôt qu'il l'a tiré ! Il avait des ordres, et on
sait de qui ! Vous allez voir qu'ils vont passer Jolie Môme dans la prochaine
! Le Commandant se retrouve face au joueur de Bonneteau rencontré
à l'extérieur de l'hippodrome. - Quant à vous, je
vous remercie ! - Hé, qu'est-ce que vous voulez, moi je croyais avoir
compris leur truc ! Je vous dis, j'ai encore perdu trente mille après votre
départ ! - Et qu'est ce que vous vouez que çà me foute,
en admettant que ce soit vrai ! - En admettant ? Mais vous n'allez pas croire
! - Je ne crois plus rien, monsieur ! Mais ce qui est clair c'est que j'étais
venu pour jouer un coup sûr dans la quatrième et que grâce
à vous, je n'ai plus la masse pour le faire ! Non, mais... Quel numéro
auriez-vous joué ? - Le numéro six, monsieur ! Jolie Môme
! - Jolie Môme ! Le provincial fouille dans son portefeuille
et se dirige aussitôt vers les guichets pour jouer. - Le six, vingt
fois gagnants ! Il rejoint ensuite le Commandant et lui donne les tickets.
- Voilà ! - Commandant Richard Briand-Charmery ! Chef d'escadron
du cadre de réserve ! - Oscar Robineau ! Grain, tissus et fourrage,
à la Ferté ! - Ravi ! Puis c'est le départ de
la quatrième course. La foule des turfistes encourage les chevaux du geste
et de la voix. A l'entrée de la dernière ligne droite, le numéro
six semble en mesure de s'imposer pour le plus grand plaisir de ceux qui ont parié
sur Jolie Môme. Le Commandant est de ceux-là, tout comme Oscar Robineau
qui n'en revient pas. -
Ben vous, alors ! - Et voilà ! Le temps de passer au guichet et je
vous rembourse. - Ah, il n'en est pas question, mon Commandant ! Non, vous
me contrariez ! - Ecoutez, cher monsieur... - Voyons, je vous ai fait
perdre bêtement vingt mille francs et vous m'en faites gagner plus de deux
cent cinquante ! Non, je serai le dernier des derniers d'accepter ! - Bon,
soit, puisque vous y tenez ! Mais je verserai la somme à la caisse de secours
des hommes de cheval ! Les deux hommes se séparent et le Commandant
est bientôt rejoint par Charly. - Alors, Commandant, qu'est-ce qu'on
fait ? - On touche et on fout le camp ! Ce soir, on attaque votre ami le gargotier
! On
se retrouve dans le restaurant parisien de Gaspard Ripeux. Le restaurateur, omniprésent,
surveille le service et s'adresse à l'un de ses employés. -
Vous appelez çà un steak saignant ? Il est carbonisé !
Les remarques se succèdent. - Une béchamel, c'est pas un
tas de boue ! Remportez-moi çà ! Charly pénètre
dans l'établissement. - Bonjour, Henriette ! - Monsieur Charly
! Le compère du Commandant s'installe au bar. Gaspard Ripeux s'adresse
à lui. - Ah, vous voilà, vous ! - Bonsoir, monsieur Ripeux
! - Mais vous m'aviez promis un tuyau pour l'Omnium de Printemps et depuis
çà, pas de nouvelle, je vous croyais mort ! - Faut pas rigoler
avec ces choses là, monsieur Ripeux ! La mort, c'est grave ! - Je ne
plaisante pas ! Mais entre les infarctus et le code de la route, vous savez, on
trinque avec des amis, on bavarde, puis un beau jour, là, paf ! Mais, çà
meurt énormément, hum ! - Non, mais vous ne m'avez pas vu parce
que j'avais rien d'intéressant pour vous. - Et ben, il faut venir me
voir quand même ! Dites, une finette ? - C'est pas de refus !
Charly fixe alors son regard vers une table où est installé le Commandant.
Ripeux s'étonne. - Qu'est-ce que vous regardez ? - Le Commandant
est client chez vous ? - Commandant, commandant, quel commandant ? Ou est-ce
que vous avez vu un commandant, vous ? - L'homme aux cheveux blancs, là-bas
! - Il est commandant de quoi ? - Mais de tout ! Chef d'escadron en retraite
! Ancien écuyer du Cadre Noir, il est cité dans tous les manuels
d'hippologie de 1912 à nos jours ! Les propriétaires se le disputent
! Ouais, il a des mots magiques ! Il souffle dans les narines des chevaux !
- Non ! - Ouais ! Il leur parle ! - Hein ! Les deux hommes sont
dérangés par l'un des serveurs. Ripeux n'apprécie pas.
- Qu'est-ce que vous voulez, vous ? - Monsieur Chirol voudrait vous saluer
! - Bon, ha ! Le restaurateur se dirige vers la porte. - Bonsoir,
monsieur Chirol ! J'espère que madame a été satisfaite !
- Comme toujours, mon cher Ripeux ! A bientôt ! - Hum, hum, hum !
Gaspard Ripeux rejoint au plus vite Charly. - Dites, alors ! Comme çà
vous dites qu'il parle aux chevaux ? - Oui, oui ? - Et dans quelle langue
? - Çà dépend de l'origine du gaye ! Des fois en australien,
des fois en normand. Il a des espèces de mots de passe, des dialectes,
il appelle çà la tradition orale ! Du coup, Ripeux prend
un verre à fine et se dirige vers la table du Commandant. - Mon
Commandant ! - Ah ! Monsieur Ripeux, sans doute ? - Vous me connaissez
? - J'ai lu attentivement votre carte, mon cher ! - Ah ! Pendant
ce temps là, Charly quitte le restaurant. Il réclame sa casquette.
- Henriette ! Merci ! - Au revoir, monsieur ! Pendant ce temps
là, dans la pension de famille ou réside Richard Briand-Charmery,
les appels téléphoniques fusent. Le Commandant qui est très
demandé par les amateurs de tuyaux hippiques brille par son absence.
- Mais enfin, monsieur, puisque je vous répète qu'on a pas vu
la Commandant depuis deux jours ! Qu'est-ce- que vous voulez que je vous dise
de plus ? - La vérité ! Il est pas malade, au moins ? -
Et ! Comment voulez-vous que je sache ? Sa clef est au tableau ! - Ecoutez,
quand vous le verrez, dites lui que monsieur Arthur espère de ses nouvelles
! Nouvel appel... - Le Commandant, s'il vous plaît ! Dites
lui bien que c'est de la part de son ami Lucien ! Lucien ! Vous savez ce que c'est
un ami ! - Ami ou pas ami, qu'est-ce que vous voulez que j'y fasse ? Le Commandant
est en ville, je vous l'ai déjà dit tout à l'heure ! Je vais
noter votre appel ! Au restaurant de Ripeux, Gaspard, entre deux saluts
de fidèles clients qui quitte l'établissement, ne tient plus. Tandis
que le Commandant déguste un digestif réputé, le patron questionne.
- Alors, qu'est-ce que vous en dites, mon Commandant ? - Tout à
fait remarquable ! - Non, mais je parlais de ma petite idée ! -
Oh, alors là, c'est autre chose ! J'ai été assez longtemps
dans l'armée pour avoir une certaine expérience de la trahison.
Vous dites une chose à un ami, l'ami le répète et l'empire
s'écroule. Mais ne faites pas cette tête là, mon vieux, vous
devriez comprendre !
"
Ne
faites pas attention, mon Commandant, c'est mon côté affectif
! " |
|
-
Ne faites pas attention, mon Commandant, c'est mon côté affectif
! Quand les gens me plaise, j'aimerai leur plaire aussi. J'étais déjà
comme çà étant petit enfant ! Et ma mère, enfin, maman
me disait toujours : " Gaspard, tu es trop sensible ! " Qu'est-ce que
vous voulez, on ne se change pas et... vous devez me trouver ridicule ! -
Ridicule ! Mais certes non ! Je dirai même que vous m'avez ému. Et
oui, ému ! Vos qualités professionnelles, votre amour du cheval
! Euh, votre sensibilité juvénile ! J'étais un meneur d'homme
! Dites vous bien que je sais les reconnaître ! Croyez-moi, Ripeux, vous
en êtes un ! - J'en suis un ? - Oh, oui ! Et un beau !
Le Commandant s'apprête à prendre l'addition de son repas. Gaspard
Ripeux s'y oppose. - Non, non, non, non, non, non ! - Ah, non, mon
cher ! - Non, non, non, non, non, non ! Dites moi ! Vous savez ce qu'on devrait
faire, mon Commandant ? Déjeuner ensemble demain ! C'est le jour des quenelles
de brochet. Hein ! Alors on bavarderai de choses et d'autres ! Hein ! - Eh
oui, mais malheureusement je dois me rendre à Chantilly ! - Pourquoi,
vous êtes forcé ? - J'accompagne Brunoise ! - Ah ! Madame
la Commandante ? - Une pouliche, une pouliche qui court le prix de Diane !
Et il va y avoir une surprise, il y aura au moins vingt-cinq contre un ! -
Pourquoi ? Parce qu'elle va gagner ? - J'ai pas vu de pouliche comme çà
depuis l'avant guerre ! Evidemment, il y a les impondérables, sinon c'est
plus du sport ! - Les impondérables avec un homme comme vous
! - Hé... oui ! Mais malheureusement c'est pas moi qui prend le départ
! Le Commandant se lève et donne un pourboire au personnel.
- Sommelier ! - Merci, monsieur ! De nouveau face à Ripeux,
le retraité continue son manège. - Hé oui ! Parce
qu'il faut que je vous explique ! Une pouliche est toujours sujette à des
tracas divers. Euh, configuration astrale, influence du sexe ! Des choses qui
me sont totalement étrangères mains dont nous tenons tenir compte.
- Nous ! Mais vous venez de dire nous ? Vous voyez, vous nous associez déjà
! - Oui, mais enfin ! Enfin, bon, ben hé, puisque vous y tenez tellement,
mais venez avec moi, demain, à Chantilly ! - Hélas ! - Comment,
hélas ! - Ma thrombose ! J'ai des pulsations de poulet ! La faculté
m'a interdit toute émotion ! Mon toubib m'a même dit que si j'allais
sur un champ de course, je pouvais y rester ! Vous savez, un Ripeux dans les choux,
et c'est peut-être la mort du petit cheval ! Euh, je veux dire un petit
cheval dans les choux ! - J'avais rectifié, j'avais rectifié
! Bon, ben puisque vous ne pouvez pas venir avec moi... - Non ! Mais attendez
! Attendez une seconde ! Ripeux se dirige vers le tiroir-caisse où
il puise quelques billets. - Pouvez-vous me mettre cent mille gagnant sur
Brunoise ? Vous ne pouvez pas me refuser çà ! Pensez à mon
cœur ! - Attention, si on nous voyait, on pourrait croire que je prends
des paris oui Dieu sait quoi ! - Mais, mon Commandant, pas un homme comme
vous ! - Hé, les fragilité des apparences, mon cher !
Très satisfait de lui, Ripeux réclame le vestiaire du Commandant
qui quitte ensuite le restaurant. Il rejoint bientôt son ami Charly qui
l'attendait dehors. - Alors ? - Ah, mon cher ! Si vous l'aviez vu fixer
mes jumelles ! C'est envoûtement ! Bernadette Soubirous ! - Combien
? - Cent mille ! - J'en doutais pas ! Y avait que vous, Commandant, y
avait que vous pour l'éponger à des hauteurs pareils ! - Notez
bien que, personnellement, je considère que ce monsieur nous a simplement
versé des arrhes. - Et qu'est-ce que vous lui avez vendu ? - Brunoise
! Elle a jamais été foutu de finir un parcourt, on peut étouffer
l'argent en toute tranquillité. - Ben, alors, çà fait
combien pour moi ? - Rien ! - Ah bon ! - Rien, parce que demain matin,
je vais au PMU et le mets les cent billets sur Reine de Sabah. Elle devrait cantérer
! - Reine de Sabah ! J'aurais jamais pensé à elle. - Mon
pauvre enfant, heureusement que je pense pour vous ! Taxi ! Les deux comparses
se séparent. Le
lendemain, on retrouve Richard Briand-Charmery dans la salon de sa sœur.
Confortablement installé dans un fauteuil, Il regarde la retransmission
du prix de Diane à la télévision. Le commentateur présente
la course. - Ici Léon Zitrone qui vous parle de Chantilly à
l'instant précis où va être donné, sur l'hippodrome
des princes de Condé, lequel, comme vous le savez, appartient à
l'Académie française, au moment, donc, où va être donné
le départ du prix de Diane, épreuve ultra classique qui s'adresse
aux meilleures pouliches de la génération, sur la distance de deux
mille cent mètres. Qui est-ce qui va gagner ? C'est la question que tous
les turfistes se posent. On parle de Reine de Sabah, on parle de Pomme d'Amour,
on parle aussi de Fric-Frac qui est d'ailleurs, vous en conviendrez, un nom curieux
pour une jument. Fric-Frac, c'est celle qui est justement à l'extrême
droite de votre écran ! Mais le départ ne tarde pas ! Le départ
est donné, la starting-gate vient de se lever ! C'est Araminte II qui est
partie en tête, Araminte II qui est une excellente pouliche, laquelle, vous
savez, a gagné au Tremblay il y a environ trois semaines, et je doute fort
qu'elle fasse le prix de Diane pour son compte, je pense plutôt que c'est
la pouliche de jeu de l'entraînement Kerbingthon, Reine de Sabah ! Les concurrentes
ont fait maintenant quatre cent mètres ! Elles vont passer bientôt
devant les écuries des princes de Condé ! Le train ralentie légèrement
! Fric-Frac va bien ! Reine de Sabah en tête cherche peut-être son
second souffle ! Mais çà permet, derrière, à Minouchette
d'améliorer sa position ! C'est une belle course ! Nulle n'est encore battue
à mi parcourt et dix pouliches sont en mesure de gagner, alors qu'on passe
devant le château ! Reine de Sabah, dans son allure souple et coulante est
toujours en tête et semble devoir gagner ce prix de Diane ! Mais non ! Voici
qu'en pleine piste, une jument arrive ! Brunoise ! Brunoise ! Suivez là
sur votre écran ! Son jockey porte une toque claire sur une casque foncée
! Brunoise en pleine piste ! Brunoise que l'on attendait pas à pareille
fête ! Brunoise qui attaque Reine de Sabah ! Brunoise qui va vraisemblablement
maintenant gagner ce prix de Diane ! Dans son fauteuil, le Commandant
n'en revient pas. - Mais Brunoise n'a jamais rien fait, monsieur, jamais
! - Oui, elle ne peut plus être battue ! Brunoise qui enlève
ce prix de Diane d'une longueur et demie devant Reine de Sabah ! - Mais qu'est-ce
que je leur ai fait ! Mais c'est démentiel ! Présente, la
nièce du Commandant semble compatir. - T'as des ennuis, toi ! Racontes
! - Ah ! A ce point là, mon enfant, çà ne se raconte
plus ! Coupe moi cet engin ! A la télévision... -
Première, donc, Brunoise, deuxième Reine de Sabah... Béatrice
éteint le téléviseur alors qu'une personne arrive dans l'appartement.
- C'est Tante Berthe ! - Non, je ne fais qu'entrer et sortir !
La Tante s'adresse à la nièce. - Tu a l'air bien triste,
mais lève toi ! Nous allons être en retard ! Puis elle aperçoit
Richard affalé dans son fauteuil. - Teins ! Qu'est-ce que tu fais là,
toi ? Tu aurai dû venir dîner chez moi hier soir ! J'ai fais faire
des homards au gratin ! - Bonjour, tante Berthe ! - J'emmène Béatrice
à l'exposition Goya ! Tu devrais nous accompagner, il parait que c'est
littéralement apocalyptique ! - Ben pas plus qu'est-ce qu'on voit là-dedans
! - Je suis prête, ma tante ! - Alors, dépêchons nous
! Alors, Richard, tu ne viens pas ? - Merci, ma tante, mais je vous accompagne
à la voiture ! Le
Commandant et Charly se retrouvent. Richard Briand-Charmery est dans une grosse
colère. Son compère tente de se disculper. - Vous êtes
drôle, c'est tout de même pas de ma faute si Brunoise a gagné
! - Comment, c'est pas de votre faute ! Et qui est-ce qui m'a indiqué
ce marchand de soupe soi-disant pigeon ? Un pigeon a qui on doit huit cent cinquante
mille francs ! Vous les avez, vous ? - Ah non ! - Eh ben alors ! -
Et Brunoise, c'est une idée à vous ! - Ben, évidement,
puisque vous n'en avez aucune ! - Alors, qu'est-ce qu'on fait ? - Nous,
j'en sait rien ! Mais lui, votre ahuri, je le sais ! Il va aller trouver ces messieurs
et l'affaire va se terminer à la mondaine, d'abord, en correctionnel en
suite, et en tôle pour finir ! Ah, c'est un joli tiercé !
- Et si on allait tout dire à Ripeux ? Péché avoué...
- Quoi, péché avoué ! Rappelez-vous que dans la vie, il n'y
a que deux expédiants à utiliser qu'en dernière instance,
le cyanure ou la loyauté ! - Et en attendant ? - En attendant,
la tactique de César et de Bonaparte ! Le tout sur le tout ! Le
Commandant se rend chez le restaurateur afin de tenter l'impossible. Ripeux n'en
revient pas...  |
"
Non,
j'ai simplement fais changer la selle qui comprimait les tenseurs latéraux
! " |
-
Mais heureusement que j'y étais pas, j'aurais pas pu supporter, je serais
tombé raide, tac ! Mais dites, çà devait être impressionnant
? - Oh, vous savez, quand un cheval est en bonne condition ! Non, j'ai simplement
fais changer la selle qui comprimait les tenseurs latéraux ! - Les
tenseurs latéraux de Brunoise ? - Ah oui, très important çà,
mon cher, pour ne pas dire capitale la manière de seller un cheval ! D'ailleurs,
j'ai écris là-dessus un petit opuscule que tous les officiers de
Saumur avaient sur leur table de chevet. - Ah ! Mais dites, pour en revenir
à Brunoise, elle a fait quelle cote ? - Hé ben, huit et demie
! Vous touchez huit cent cinquante mille ! Si vous aviez vu la tête à
Chanopoulos ! - Pourquoi, elle a fait deuxième ? - Non, c'est le
bookmaker ! Alors vos cent mille plus les cinq cent mille de la maison, çà
lui fait près de cinq millions à décaisser ! Alors, je lui
ai donné un petit délai, il paiera demain. - Ah ! On est pas
des sauvages, hein ! C'est alors que l'un des employés du restaurant
amène un gâteau décoré d'un cheval et orné d'une
bougie. - Oh, alors là, mon cher Ripeux, alors vous êtes
trop gentil ! Oh, alors là, vous êtes vraiment un poète !
Mais pourquoi une bougie ? - Pour fêter notre première victoire
en espérant que ce ne sera pas la dernière ! - Hé ! Qui
sait ? Ripeux, madame votre mère avait raison, vous êtes trop sensible.
Mais c'est pas moi, vieux soldat, qui vous le reprocherais, au contraire !
Ripeux rit. - Ha là, là ! Si je n'avais pas peur de vous
gâcher ! - Hein ! - Ripeux ! - Oui ! Croyez-vous sincèrement
que l'argent fasse le bonheur ? - Çà ne le salope pas !
- Puisque c'est vous qui le dites ! Hé ben, je vais vous donner votre chance
! Vous êtes un père, vous avez une fille à doter ! Etes vous
homme à faire fortune ? - J'y pense toutes les nuits ! Mais pourquoi
me demandez-vous çà ? - Un cheval de madame de Carmouffe court
demain à Auteuil ! Un fils de Minos et Pacifer, allié à la
famille de Saint-Simon par son petit frère ! Tous les ancêtres les
plus illustres se sont penchés sur sa litière ! - Comment s'appelle
ce petit cheval ? - Minotaure ! - Et d'après vous, c'est la grosse
affaire ? - C'est l'affaire ! - Et vous joueriez le paquet dessus ?
- Ha, mais je ne joue jamais ! Mais la maison, elle, va y aller du maximum
! C'est pourquoi, en supposant que vous mettiez les cinquante mille de Brunoise,
ben, il faut pas que vous comptiez sur, euh, beaucoup plus de quatre millions.
- Çà fait quant même du cinq contre un ! - Ben oui !
- Dites, sans vouloir vous vexer, est-ce que je peux faire une suggestion, mais,
absurde ? Si jamais çà rate ? - Bof ! Dans le fond, vous avez
peut-être raison. L'amitié m'égarait. Mais, je vous comprends
! Un gentil petit restaurant, petite cuisine bourgeoise, petite affaire, vous
n'êtes pas fait pour les gros coup, mon cher Ripeux ! Bon, et ben demain,
je vous verserai vos huit cent cinquante mille francs et vous irez les porter
à la caisse d'épargne ! - Ben pourquoi pas ? Avec les deux pour
cent, on est sûr ! - On est surtout sûr que çà ne
fera pas trois ! Ripeux rit à nouveau. - Avouez que le père
Ripeux vous a bien eu ! Sacré Ripeux, va ! Et à l'école,
c'était pareil, je les possédais tous ! L'inspecteur de l'école
primaire m'avait remarqué et me disait " Ripeux, vous serez acteur
! " Et, j'aurais pu l'être ! Pas fou, Ripeux ! Petit-fils d'auvergnat,
fils d'auvergnat, crocodile moi-même, je refais mes additions toutes nuits
! Infatigable au bénéfice ! Jamais d'indigestion ! Serpent boa,
ah, ah, ah ! Vous pouvez pas vous rendre compte ! Vous c'est Saumur, les grandes
écoles, on est pas du même milieu ! - Oh non ! - Moi,
je suis arrivé à Paris en espadrille ! Alors, vous comprenez, je
veux me goinfrer ! Me gaver le plus possible ! Louer des coffres en Suisse, des
gros coffres ! Mais Minotaure, Minotaure, çà va être la grande
régalade ! Et je la sent ! J'ai un nez, un nez de pointer ! Alors, trois
ou quatre millions que vous dites ? Vous ne connaissez pas l'homme ! Les huit
cent cinquante mille de Brunoise, plus cent mille, paf, c'est çà,
Ripeux ! Magnat oriental ! Ça les fera t'y cette fois les cinq fois quatre
? - Oh, alors là, c'est dans la poche ! Le
lendemain, sur l'hippodrome d'Auteuil. - Allô, allô ! Les
chevaux sortent pour se rendre au départ ! Des joueurs regardent
les cotes. - Le six, Minotaure à vingt-six contre un ! - Un
veau pareil ! Pas une tune ! Charly s'inquiète déjà.
- Vous êtes vraiment sûr que Minotaure n'avance pas ! Qu'il aille
pas faire une connerie comme Brunoise ! - Je viens de refaire mon papier,
jeune homme, aucune chance ! Et la course s'élance. Soudain, Gaspard
Ripeux arrive sur le champ de course. Il s'adresse à un turfiste grimpé
sur une caisse. - Aie ! Vous qui voyez ! Minotaure, c'est quel numéro
? - Minotaure ? Le six ! - Ah ! - Casaque amarante, toque verte !
- Ah ! L'épreuve se poursuit à un rythme soutenu. -
Dites donc, c'est marrant ! Il est bien placé votre Minotaure ! - Ah
! - Il traîne toujours d'habitude ! - Ah, dites donc ! Ah, ah !
- Vous avez combien dessus ? - J'ai neuf cent mille ! Alors que la
course arrive à son terme, Minotaure semble toujours sur le point de s'imposer.
Le Commandant armé de ses jumelles ne tient plus. Enfin, il se lâche. -
Flamengo a gagné ! - Et bien dites donc, on revient de loin ! -
Mon cher, la forme est là, c'est un signe, mais pas de mollesse ! Trouver
le perdant de la cinquième est une chose, mais trouver le gagnant de la
sixième en est une autre. Un peu plus loin, un homme est allongé
à terre. C'est Ripeux qui a eu un malaise. La foule s'inquiète.
- Il faut faire quelque chose ! - Çà doit être le cœur
! - Enfin, c'est tout de même bizarre ! On était là, près
de lui... - Ben moi, çà m'étonne pas ! Il prétendait
même qu'il avait neuf cent cinquante mille qui marchaient sur Minotaure
! Hé, hé, il devait pas être bien ! Le Commandant
et Charly passe à côté du pauvre Ripeux qui est évacué
sur une civière par deux policiers. - Je vous laisse avec votre
conscience, jeune homme ! Jusqu'à présent vos combines n'avaient
fait que des dupes, mais pas de victimes ! - Mais moi, j'ai rien fais !
- Moralité, quand on a pas une santé de cheval, on ne fréquente
pas les hippodromes ! Sur sa civières, Ripeux délire.
- Mais Minotaure, Minotaure, çà va être la grande régalade
! On va se goinfrer, ah, ah, ah ! J'ai un nez, un nez de pointer ! Les huit cent
cinquante de Brunoise, plus cent mille, c'est çà, Ripeux ! Magnat
oriental, paf ! Non loin des guichets, deux vielles connaissances, Lucien
et Arthur, se rencontrent. - Ah, ah, salut, voyou ! Tu t'es évadé
de Melun ? - Et moi je te croyais à Fresnes ! - Blague à
part, qu'est-ce que tu fais là ? - Je surveille mes affaires, j'ai
un coup terrible dans la dernière ! - Dans la dernière ? Ben
tiens, moi aussi ! - Un bestiaux assez lunatique, un caractériel,
mais il finit comme une balle ! - Ben, le mien, il aurait plutôt le
canon d'éclipse ! Je sais pas si tu vois ce que je veux dire ! - Je
vois le truc très bien ! Mais je croyais le tuyau ultra secret ! -
Mais y a pas de secret pour moi, j'ai un expert ! - A qui dis-tu çà
! Le mien est grand écuyer, avec des charmeuses d'époque ! -
Et ben le mien sort tout simplement de Saumur, alors excuse-moi ! - De Saumur
? - Cadre Noir ! - Le Commandant ? - Exactly ! - Ben, dis donc,
on a le même ! Coup de téléphone tous les matins vers dix
heures ? - Naturliche ! - Qu'est-ce qui t'a donné ? - Le sept,
Fleur des Pois ! Lucien constate amèrement sur son journal que
son tuyau est identique à celui de son mai Arthur. Malgré tout,
nos deux compère se dirigent vers les guichets pour jouer tout deux le
fameux Fleur des Pois vingt-deux fois gagnant. Tandis que le speaker annonce que
les chevaux sortent pour se rendre au départ, le Commandant et Charly surpris
de la présence de Lucien et Arthur ont juste le temps de les éviter.
- Eh ben, çà y est, cette fois-ci tous les augustes sont
à la barrière ! Charly questionne le Commandant. -
Alors, qu'est-ce qu'on fait ? - Avec les augustes ? - Non, qu'est-ce qu'on
joue ? Il parait que le huit, Mexicana, monté par la petit... Désapprouvant
l'idée de Charly, le Commandant lui coupe aussitôt la parole. Les
chevaux sont sous les ordres. Alors que la sonnerie annonce le départ de
la course, le Commandant se précipite au guichet. - Le sept, vingt
fois gagnant ! Le sept, vingt fois ! Le guichetiers poinçonne les
tickets et dispose la grille clôturant les enjeux. Le Commandant vérifie
son jeu et constate une erreur. - Mais je vous ai demandé le sept,
pas le huit ! Qu'est-ce que vous voulez que j'en foute de votre huit ! J'en voudrais
même pas pour faire du manège ! - Je regrette, mais c'est trop
tard ! - Trop tard, trop tard ! Quoi, trop tard ? Un turfiste intervient.
- Mais qu'est-ce qui se passe ? - Il se passe, mon cher, qu'on m'aura tout
fait ! Mais alors là, tout ! Cette fois-ci, c'est du vol qualifié,
c'est à porter plainte ! La course se déroule sous les encouragement
du public. Dégoûté, le Commandant s'éloigne en jetant
ses tickets par terre. Lucien et Arthur encourage leur favori. - Vas y
le sept, vas y ! Lucien est optimiste. - Ah, cette fois, je crois
qu'on est dans le coup ! Alors que l'arrivée de l'épreuve
se précise, le sept, Fleur des Pois semble débordé par un
autre cheval. La foule constate bruyamment. - Le huit, c'est le huit qui
gagne ! Attiré par la clameur, le Commandant se dirige vers la
piste pour vérifier l'arrivée. Constatant la victoire du huit, Mexicana,
il se précipite vers l'endroit où il a jeté ses tickets.
Après quelques secondes de recherches, ils retrouvent enfin les précieux
morceaux de papier. Malgré la défaite de Fleur des Pois, Arthur
semble tout de même satisfait. - C'est quand même du peu, à
peine une longueur ! Lucien est dans le même esprit. - La semaine
dernière, j'étais cinquième, aujourd'hui, je suis second,
c'est juste une question de patiente. - Bien sûr ! Alors que
l'on affiche la cote extravagante du vainqueur, la foule réagit bruyamment.
Le Commandant est au guichet pour toucher ses gains. - Huit mille six cent
cinquante ! Le Commandant ramasse précieusement sa liasse de billets.
- Merci ! Soudain, il est interpellé par Lucien et Arthur.
 |
"
Messieurs,
Fleur des Pois a eu un étourdissement au réveil !
" |
-
Alors, Commandant, on touche Mexicana ? - On fait jouer le sept à ses
amis et on touche le huit ! - Messieurs, Fleur des Pois a eu un étourdissement
au réveil ! J'ai été averti ce matin et j'ai pris la liberté
de reporter vos jeux sur Mexicana ! Maintenant, si l'opération vous parait
trop osée, je peux vous rembourser vos mises ! - Voyons, Commandant
! - Je suis en voiture ! Si vous voulez, je peux vous ramener ! - Non,
merci ! Je vous verrais ce soir pour les comptes, maintenant, je suis attendu
! Voilà ! Au revoir, messieurs ! Arthur est ravi de la tournure
des choses. - Çà, c'est un monsieur, un vrai ! Lucien
également. - Et oui, le style d'autrefois, toute une époque
! - Et dire qu'il n'y en avait peut-être plus qu'un ! C'est drôlement
le pot d'être tombé dessus ! Le Commandant et Charly se dirige
vers la sortie de l'hippodrome. Charly est étonné. - Je comprends
pas, je croyais que vous étiez sur le sept, Fleur des Pois ! - Ah !
Etre, ne plus être, çà ! Mais ce qui nous perd, nous autres
joueurs, c'est une espèce d'ankylose du raisonnement. Notre attachement
à la logique pour le cheval. Les origines, la distance, le poids ! C'est
pourquoi, moi, j'attache une très grande importance à l'intuition.
L'importance pouvant aller jusqu'au lapsus prémonitoire. On pense sept
et on dit huit ! - Ben, évidemment, si on ne dit plus ce qu'on pense,
hein ! - Décidément, vous êtes un petit primitif ! Dites-vous
bien que j'ai gagné parce qu'il fallait que je gagne ! Et puis, c'est tout
! - Ah bon ! Arrivés aux grilles du champ de course, les vendeurs
de journaux font leur travail. - Demandez France-Soir ! Demandez France-Soir
! Fin de la grève des banques ! Fin de la grève des banques ! Fin
de la grève des banques ! Charly constate l'événement.
- Tiens, la grève des banques est finie ! - Les choses finissent toujours
par rentrer dans l'ordre ! Maintenant, voulez-vous me faire plaisir ? - Oui,
maître ! - Otez vos mains de vos poches ! Et nos deux amis s'éloignent,
parfaitement satisfaits d'avoir touché une fameuse cote. FIN |