gaudin.ber.free.fr « Le petit monde de
Bernard Gaudin, journaliste et photographe »
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Rencontre avec Michel Bouquet ! Le samedi 7 janvier 2006, Michel Bouquet a interprété "Le Roi se meurt" au théâtre de Corbeil-Essonnes. Avant la représentation, le célèbre acteur a accepté de me recevoir dans sa loge pour une interview véritablement passionnante longue de près d'une heure.
Agé de 80 ans, Michel Bouquet est toujours sur les planches. Homme de cinéma et surtout de théâtre, il a entamé une longue tournée avec "Le Roi se meurt", une pièce signée de son ami Ionesco. Voici quelques extraits de l'interview qu'il m'a accordée le 7 janvier 2006. Michel Bouquet, que préférez-vous, le théâtre ou le cinéma ? "J'aime les deux ! Mais je peux dire que j'ai sacrifié beaucoup plus de temps de ma vie au travail du théâtre qu'au cinéma ! J'ai axé, si vous voulez, l'intérêt réel sur le théâtre et le cinéma a toujours été pour moi fascinant. Mais je ne pense pas que j'avais le tempérament, le tempérament intime, personnel, propre à une grande carrière de cinéma ! Je pensais que c'était plus sûr, dans ma façon de travailler, dans ma manière d'être, de faire plutôt une grande carrière au théâtre que de faire une grande carrière au cinéma. Donc, j'ai toujours privilégié, finalement, le théâtre."
Avez-vous des projets pour le grand écran ? "Oh
non ! Non, non ! Je ne pense pas !" Et au théâtre ? "Si je peux ! Je vous dirais que là, c'est vraiment limite, limite ! Vous savez, jouer quand même 200 fois à Paris " Le roi se meurt ". Puis je l'emmène en tournée avec 110 représentations ! J'en aurais fais 310 avant la fin de la tournée ! C'est un effort physique énorme, un effort effrayant ! Je ne sais pas. Je vais peut-être rejouer l'Avare et puis cela sera la dernière chose, quoi ! Peut-être, si les forces sont là ! J'aimerais bien le rejouer parce que j'étais content de l'avoir joué. Mais je crois que je peux espérer mieux en le refaisant ! Donc, je vais essayer parce que j'ai un grand amour pour Molière, bien sûr, comme tous les acteurs. Et puis je trouve qu'on le maltraite un peu dans la manière dont on le sert habituellement. Si vous voulez, Molière c'est l'homme de la vérité, l'homme de toutes les vérités ! C'est l'homme de bonne foie totale par excellence ! "
Que pensez-vous de la politique en général ? "La
politique ? Je ne sais pas quoi vous dire ! On peut avoir une opinion,
mais cette opinion n'amènera rien. Je veux dire, le fait que
je la ressente n'amènera rien à la fatalité qu'elle
existe, qu'elle est là ! Qu'elle est, de temps en temps, assez
bien menée, de temps à autre, très mal menée,
que le pays est mal mené ou bien mené selon les moments,
que les décisions qui sont prises sont ou contestables ou absolument
nécessaires ! Que j'en pense ceci ou cela ne changera pas la
face des choses !" Vous sentez-vous tout de même concerné ? "J'en souffre beaucoup ! J'en souffre souvent ! Elle me fait souffrir la politique ! Comme chaque bon citoyen devrait avoir ce sentiment là avec elle ! Je ne la prends pas du tout sans sensibilité. Quand on prend de l'âge, si vous voulez, le monde a tellement changé, trois ou quatre fois dans ma vie déjà ! Je l'ai vu changer du tout au tout ! Alors, c'est une sorte de lassitude à la longue ! Parce que je ne m'y retrouve plus. Par exemple, j'ai été très frappé par une période de ma vie qui a été la fin de la guerre. Bon ! La défaite, çà a été une chose terrible ! J'avais 14 ou 15 ans à l'époque et cela a été une chose effrayante qui m'a marqué, d'ailleurs, pour toujours, dans un espèce de scepticisme par rapport à l'efficacité de la politique, justement !"
Et la crise des banlieues ? "Ça, je ne me rends pas compte du tout ! Je ne sais pas jusqu'à quel degré de misère on peut aller ! Je ne sais pas jusqu'à quel point la misère qui est éprouvée justifie certains agissements ! Vous savez, je ne sais pas jusqu'où le chantage des uns et des autres peut aller ! Je ne me rends pas compte. Donc, je me garderai d'avoir une opinion là-dessus ! Je ne sais pas ! C'est ce que je vous disais tout à l'heure, je ne sais, plus quelle opinion je peux avoir ! Quelle opinion peut-on avoir à notre époque ? Je me le demande ! C'est peut être moi qui suis un espèce de malade de théâtre et un égoïste ! Je ne sais plus du tout ce que j'en pense ! Même pas de mon pays. Je ne sais plus ! Je ne pourrais pas vivre ailleurs qu'ici ! J'aime mon pays par-dessus tout ! Mais je ne sais plus quel pays c'est exactement !"
Et l'Europe ? "C'est pareil ! Moi, personnellement, je suis parfaitement conscient que l'Europe est absolument nécessaire ! J'en suis personnellement convaincu. Je ne sais pas si çà va être une chose possible, ni même agréable ! Ça, je ne le sais pas ! Mais que ce soit une chose nécessaire, çà sûrement ! Peut-être malheureusement ! Mais, encore une fois, je suis de la civilisation qui a subi la défaite, qui a vu la résistance, qui a vu ce pays se redresser en quelques années d'une façon absolument magnifique, extraordinaire ! Et puis je vois ce pays maintenant qui se plaint tout le temps. Ces gens qui ont des douleurs partout, qui se mettent des pansements de tous les côtés ! Et je ne sais plus du tout où je suis ! Donc, je n'ai pas d'opinion. Comment voulez-vous que j'ai une opinion. Moi, ce que je crois personnellement, c'est que quand l'on prend un chemin. Il faut que tout le monde partage le sentiment que c'est nécessaire pour que çà réussisse !"
C'est une voie sans issue ? "Moi,
quand on a demandé de dire oui, moi j'ai eu beaucoup de difficultés
à souscrire à çà ! Mais si on dit non, alors
là, je ne comprends plus rien ! Encore une fois, c'est l'opinion
d'un vieil homme qui ne comprend pas grand-chose à tout çà
! Je comprends mieux, si vous voulez, l'univers des auteurs que l'univers
de la politique. Au moins, j'ai l'honnêteté de penser que
je ne peux pas avoir d'opinion véritable si je n'ai, pas les
dossiers en main !" Photos : Bernard Gaudin ©
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